Les Plantes « façonneuses » du monde
Marc Jeanson est botaniste et agronome. Ancien responsable de l’Herbier national au Muséum national d’Histoire naturelle (Paris), il est aujourd’hui directeur botanique du Jardin Majorelle (Marrakech).
Comment un enfant de la fin du XXème siècle découvre les plantes pour les aimer, les regarder, les observer, les contempler, les découvrir, en faire son métier et sa passion?
Ainsi l’exprime-t-il/
« Je ne suis venu aux plantes que sur le tard : elle s’appelait « phalangère », banale asperge d’intérieur, de celle qui dardait leurs stolons dans l’environnement inhospitalier des salles de travaux pratiques du collège
En fin d’année scolaire, le laborantin nous avait proposé une bouture ; je n’étais pas particulièrement intéressé, comme d’autres j’avais levé la main.
A la maison j’avais mis le morceau de tige blafard dans un pot, puis oublié celui-ci sur un rebord d’étagère : à mon insu la plante araignée avait commencé à croître, à lorgner par la fenêtre, étirant une longue feuille panachée de vert et d’or clair. Soudain, une langue rayonnante léchait mon bureau, semblant boire le soleil pour le reverser sur mon cahier.
J’étais impressionné : avec rien, un peu de terre, de lumière et d’eau, cet être irradiait.
Dans ma tête, un mystère venait de germer.
Rares sont les botanistes qui naissent botaniste ; c’est avec le temps qu’ils apprennent à voir l’invisible. Les animaux si instinctivement attachants attirent le regard, pas les plantes immobiles, silencieuses ; leur absence de réaction apparente les relègue à l’arrière-plan d’un monde en perpétuel mouvement.
Si la rapidité de croissance de cette phalangère m’hypnotisait, ce qui me troublait chez elle, c’était sa beauté, enracinée au cœur d’émotions anciennes, de genoux crottés, de paupières fermées, frôlée de papillons lumineux. Leur scintillement traversait les fleurs tel un vitrail: message aussi fascinant qu’illisible pour le petit garçon que j’étais à un âge où le mot photosynthèse était encore imprononçable.
Cet éblouissement se doublait d’un intérêt grandissant pour la biologie d’un être à priori incompréhensible, qui fonctionnait à l’économie, à l’inverse des petits poissons vifs qui s’enfuyaient dans les profondeurs de mes étangs. Eux dispersaient leur énergie à tout va avec un brusque coup de nageoire, ce que ne pouvait pas faire ma phalangère : elle faisait face dans l’impossibilité de fuir sur son bout de rayonnage. Humblement elle accumulait les rayons de soleil à travers ma vitre, système d’une efficacité surprenante au service d’une croissance semblait-il infinie. Ses stolons ne cessaient de s’allonger ; je sentais soudain qu’elle m’entraînerait plus loin que ma chambre »
Référence Marc Jeanson et Charlotte Fauve Botanistes Grasset 2019 (cité par l’auteur lors sa conférence)
Vous devez être connecté pour voir la suite du contenu. Veuillez vous connecter, pas encore membre ? Adhérez à l'association !.